Il est une tradition, sur le Pont Charles, qui est de toucher la plaque commémorative du martyre de Saint Jean Népomucène, qui fut jeté dans la Vltava précisément à cet endroit, le 20 mars 1393. On dit que cela porterait bonheur. Mythe ou réalité, c’est à la libre appréciation de chacun ! Mais qui est ce personnage, dont on retrouve la statue dans la plupart des églises de Prague (et de République Tchèque), mais aussi sur de nombreuses façades de la ville ?

Qui veut la peau de Jean de Pomuk ?

Il existe deux versions de la mort de Jean Népomucène : l’une probablement plus historique, l’autre qui relève sans doute davantage de la légende dorée. Néanmoins, il n’est pas impossible que les deux histoires se soient entremêlées… Nul ne le sait véritablement aujourd’hui ! Quoi qu’il en soit, voici, brièvement, ce que l’on sait de ce saint si cher au cœur des Tchèques.

Jean de Pomuk est né vers 1340, à Pomuk (aujourd’hui Nepomuk), à 90km au Sud-Ouest de Prague. Il effectue sa scolarité au monastère cistercien de son village, puis part à Prague pour exercer la fonction de Notaire impérial; il est alors âgé de 20 ans. Après une dizaine d’années d’exercice du notariat, il décide de reprendre les études : il s’inscrit au cours de droit canon de l’Université Charles, puis quitte la Bohême pour l’Italie, où il complète son doctorat à l’Université de Padoue. Ordonné prêtre en 1373, il est ensuite nommé chanoine de la Cathédrale de Prague.

Ça magouille au château de Prague

Trois ans plus tard, en 1393, l’archevêque Jean de Jenstejn en fait son vicaire général. C’est un poste ecclésiastique extrêmement prestigieux, et Jean Népomucène intègre ainsi l’élite religieuse de son temps, mais se retrouve également mêlé à des querelles de pouvoir entre les autorités religieuses et civiles. En effet, l’archevêque est en conflit avec le roi Venceslas IV (fils et successeur du grand roi Charles IV), qui souhaite faire de l’abbaye de Kladruby un évêché et en confier la tâche à l’un de ses proches.

Jean de Jenstejn comme Jean Népomucène s’y opposent fortement, condamnant l’intrusion du roi dans les affaires de l’Église. Furieux, Venceslas IV ordonne l’arrestation des deux ecclésiastiques. L’archevêque parvient à échapper aux soldats, mais son vicaire est fait prisonnier, et torturé avec une extrême cruauté, notamment par le roi lui-même. Mais il refuse de signer le document que lui présente le monarque, dans lequel il renoncerait à prendre position dans cette affaire de l’abbaye de Kladruby. Lassé, Venceslas IV ordonne de le faire jeter dans la Vltava, ce qui fut fait depuis le Pont Charles, à l’endroit où se trouve la fameuse plaque commémorative porte-bonheur.

Ce qui est au confessionnal reste au confessionnal

Mais ce conflit est-il réellement la cause de la torture et de l’exécution du Saint ? Un autre récit existe à ce sujet : Jean Népomucène était, outre ses fonctions ecclésiastiques prestigieuses, le confesseur personnel de la reine Sophie, épouse de Venceslas IV. Les deux époux ne faisaient guère bon ménage, et c’est le moins que l’on puisse dire. Pour vous donner une idée, le surnom de Venceslas IV, c’est « l’Ivrogne », vous voyez un peu l’ambiance au château.

Bref. Le roi soupçonnait sa femme de lui être infidèle, et pour en avoir le cœur net, il tira les vers du nez de Népomucène, à qui la reine, en confession, racontait tous ses péchés. Mais vous n’êtes pas sans connaître l’existence du fameux secret de la confession : le prêtre refusa de parler, malgré les nombreuses sollicitations du roi. Sollicitations qui finirent par la séance de torture mentionnée plus haut, avant que Jean Népomucène ne soit jeté, plus mort que vif, dans la rivière.

La revanche divine

Cette exécution ne resta pas sans conséquences : la mort du vicaire général provoqua de grands remous dans la société de l’époque. En effet, il devint un symbole de la lutte entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, dans un monde profondément chrétien. Le roi Venceslas IV ressortit politiquement affaibli de cet épisode. Et la révolte du peuple quant à ce martyre fut décuplée par la sécheresse de la rivière Vltava cette année-là : source d’eau potable pour des milliers de personnes, à Prague comme à la campagne, de nombreux foyers se retrouvèrent en difficulté, et en blâmèrent le roi, qui leur attirait cette punition divine.

Une bien étrange relique

Ce n’est que trois siècles plus tard que l’Église catholique se penche sur la cas Népomucène, bien que la vénération pour le saint n’ait jamais faibli en Bohême. Ainsi, en 1719, pendant le procès de béatification (procédure de l’Église, qui permet de déclarer une personne « bienheureuse », première étape avant d’être officiellement « saint »), on procède à l’analyse des reliques du martyr. On découvre alors un morceau de chair rouge qui s’échappe du crâne : les connaissances médicales de l’époque étant ce qu’elles sont, on conclut qu’il s’agit de la langue du prêtre, ce qui corrobore la théorie de la confession.

On estime que Dieu aurait choisi de préserver la langue qui était restée fidèle à son vœu. Il s’avère finalement qu’il s’agissait d’un morceau de cerveau momifié, mais la mémoire collective a retenu le miracle tel qu’il a été perçu au XVIIIè siècle, et la langue de Saint Jean Népomucène est devenue l’un de ses attributs iconographiques. Ainsi, dans le sanctuaire baroque qui lui est dédié à Zd’ar nad Sazavou, un énorme sculpture représentant une langue orne la voûte de l’église.

Jean Népomucène, superstar

Après la canonisation de Saint Jean Népomucène, en 1729, on voit fleurir les chapelles et églises qui lui sont dédiées, ainsi que de très nombreuses statues. C’est à cette époque que sont installées les premières statues sur le Pont Charles. En 1736, un énorme monument funéraire en argent est installé dans la cathédrale de Prague. Le culte du martyr du Pont Charles s’est largement diffusé en Europe centrale, à travers tout l’Empire Austro-hongrois.

De nombreux pèlerins sont venus se recueillir devant la « langue » du saint, exposée au public jusqu’en 1866. Les plus pieux d’entre eux étaient même autorisés à l’embrasser ! On estime à environ 7 millions le nombre de personnes ayant eu l’insigne honneur d’embrasser la précieuse relique, pendant les presque 140 ans qu’a durée son exposition. Autre temps, autres mœurs…

Un cache-cache géant ?

Cette statue de Saint Jean-Népomucène se trouve sur une façade à proximité du Pont Charles.
Celle-ci orne la façade de l’église Sainte-Ursule, sur Narodni Trida, dans la Nouvelle Ville.

J’aime beaucoup chercher des représentations de ce saint, lors de mes promenades dans Prague ou ailleurs en Tchéquie : si on cherche bien, il y en a un peu partout. Il est facilement reconnaissable : il porte son habit de prêtre (une soutane recouverte d’un surplis, et une barrette sur la tête), un crucifix dans la main, et parfois aussi la palme du martyre. Mais par dessus tout, il est le seul saint à porter, à l’instar de la Vierge Marie elle-même, une couronne d’étoiles. Alors, vous jouez à « Où est Jean Népomucène » avec moi ?

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6 comments

  1. Merci Jehanne pour cet article très intéressant !
    Après 4 ans à Prague et déjà quelques visites à mon actif, tu as su piquer ma curiosité et j’ai appris de nouvelles choses à son sujet. Top !

  2. Merci pour cette page d’histoire bien racontée avec des titres qui font sourire. Lecture très agréable et enricichissante qui approfondit les commentaires d’un guide touristique. Continuez c’est super. Au plaisir de vous lire encore.

    1. Merci beaucoup pour ce retour ! Je suis ravie d’avoir pu enrichir votre découverte du Pont Charles, de ses statues et de son histoire ! 🙂

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